Daniel Léocadie et Jérôme Cochet nous parlent de leur Antigone

Que fait-on du corps de celui qui porte atteinte à la Nation ...?

Alors que la pièce est en résidence de création au TÉAT Plein Air où elle sera présentée au public les 1er et 2 octobre, nous avons rencontré les deux metteurs en scène.

Comment est né ce projet ?

 

Daniel Léocadie : Le projet est né quand j’ai eu connaissance il y a quelques années, par la presse, d’un procès qui avait eu lieu concernant l’un des auteurs des attentats du Bataclan. Ses parents, français, voulaient l’enterrer dans leur région, mais celle-ci n’en voulait pas, notamment à cause des actes commis par l’homme. Les parents ont toutefois obtenu le droit d’inhumer leur fils mais dans une autre ville. J’ai tout de suite pensé à Antigone que j’ai relu assez vite. Il m’a semblé alors nécessaire de monter cette œuvre et de poser la question : que fait-on du corps de celui qui porte atteinte à la Nation ?

Jérôme Cochet :  Daniel et moi avons fait nos études de théâtre ensemble, nous avons eu de premières expériences communes de plateau sous la direction de différents metteurs en scène. Et nous avons créé et joué ensemble plusieurs projets, dont le spectacle Kisa Mi Lé, qu'il a écrit 2016. Il parlait de monter Antigone depuis plusieurs années déjà, nous avions échangé sur le sujet... Alors quand il m'a parlé de ce projet de création, ça n'a pas été une surprise. Par contre, l'ampleur qu'il souhaitait lui donner était assez vertigineuse : le nombre de personnes au plateau, la présence d'acteur.rice.s et de musiciens renommés et plus expérimentés que nous... Tout cela promettait une aventure passionnante et enthousiasmante. J'ai signé tout de suite !

 

 

Est-ce que c’est un texte contemporain pour vous ? En quoi peut-il résonner aujourd’hui ?

 

Daniel Léocadie : Antigone est ce genre de texte qui dépasse l’actualité et est même de toutes les actualités si on peut dire. Sophocle réussi à rendre compte d’un tiraillement touchant à la fois le domaine politique, au sens de la cité, en y confrontant dans un débat d’idées, ceux qui gouvernent et les citoyens. Il pose la question de la limite du respect des lois face aux convictions intimes et à la peur de chacun. Il pose surtout la question de la définition de l’humanité, face à un cadavre qui reste sans sépulture pour l’exemple. Ici même les morts sont punis. Ce n’est pas un hasard si ce texte traverse les siècles. Il y a toujours quelque chose chez l’espèce humaine de 441 av Jc qui résonne avec l’espèce humaine de 2021.

 

Antigone peut donc être réunionnaise. Expliquez-nous comment ? Et pourquoi ?

 

Daniel Léocadie : Ce serait réduire Antigone que de dire que l’avons faite réunionnaise. Nous nous sommes plutôt posés la question de comment raconter cette histoire pour un lieu et une population. Des Antigone il s’en monte énormément de par le monde. Le but est de raconter cette histoire avec nos codes. Le Choeur chante, alors il faut trouver comment, si on veut que ce soit un choeur d’ici. Il y a des débats passionnés qui vont jusqu’à l’affrontement alors il faut réfléchir comment les raconter pour nous.  Transposer l’oeuvre nous sert à la rapprocher de nous sans rien enlever à la part universelle de l’oeuvre. Il en sortira une œuvre unique en son genre portant à la fois en son sein le talent de Sophocle et la poésie de La Réunion.

Jérôme Cochet : Moi je ne suis pas réunionnais, mais j'ai commencé par essayer de suivre et comprendre les intuitions de départ de Daniel et les univers artistiques des artistes de la distribution. Il était important pour moi de pas interférer, et surtout de ne pas poser un regard de sachant sur des choses qui m'étaient inconnues et que je découvrais jour après jour : la langue créole, le maloya, le moringue... Peu à peu, tous ces éléments sont devenus une grammaire de plateau au même titre que le texte et la technique, et c'est là que nous avons pu commencer à poser ensemble le travail de mise en scène. Mettre en scène à deux, c'est accepter de ne pas avoir toujours raison, de mettre ses idées en balance et de trouver comment on peut sacrifier un peu de son égo pour aller ensemble plus loin que ce qu'on aurait fait tout seul. C'est toujours passionnant, et cela fluidifie et déverrouille beaucoup de choses dans un métier où l'un des écueils est de se retrouver seul à assumer un rôle de pouvoir...

 

 

Comment s’est passée la collaboration avec Danyèl Waro, avec les musiciens, les moringers ou encore avec Sabine Deglise ?

 

Daniel Léocadie : Je vais répondre au présent car elle est toujours d’actualité cette collaboration. Elle se passe très bien car ces artistes uniques et experts reconnus dans leur domaine respectif se sont mis dés le départ au service de l’oeuvre. L’humilité et l’exigence qui les caractérisent sont saisissantes. Les intuitions de mise en scène ce sont très vite vérifiées quant à leur présence sur ce texte mais surtout, ces artistes les ont emmenées bien plus loin que ce qu’on avait pu imaginer. On ne peut demander mieux.

 

Ce projet est soutenu par de nombreuses scènes réunionaises, mais également métropolitaines. Il était évident pour vous que la « spécificité réunionnaise » ne poserait pas de problème pour proposer cette pièce en-dehors de La Réunion ?

 

Daniel Léocadie : A dire le vrai, je n’avais pas pour objectif de proposer cette pièce en -dehors de La Réunion. Il est déjà difficile de faire voyager un solo alors imaginer faire voyager une telle équipe n’était tout simplement pas pensable ni envisagé. J’avais décidé que je ferais une pièce pour La Réunion et puis c’est tout. Mais il se trouve que des salles on été intéressées à la fois par le propos, la question, la distribution, ce mélange inconnu et titillant. Nous nous sommes dits pourquoi pas ? C’est toujours bien de faire voyager un spectacle. Et puisque nous avons été invités il n’y a donc à priori aucun problème lié à une quelconque spécificité.

Jérôme Cochet : C'est un spectacle qui a tous les atouts pour être joué partout, et toucher des spectateurs de tous les territoires. Il est à la fois universel dans ses thématiques, et spécifique et original dans l'univers scénique que nous avons élaboré. En revanche, parvenir à débloquer les partenariats nécessaires pour embarquer une telle distribution en métropole, c'était une sacrée surprise au vu du contexte actuel, de notre jeunesse et de notre notoriété qui reste encore très modeste. Nous mesurons donc à la fois la chance et la confiance dont nous bénéficions, et c'est avec beaucoup de joie que nous ferons voyager le spectacle partout où l'on voudra bien de nous !

 

Ce que vous appréciez l’un chez l’autre ?

Daniel Léocadie et Jérôme Cochet (en chœur !) : C’est un excellent assistant :-)

 

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Photos

Illustration : Léocadie et cochet